Education (nouvelle), savoir, citoyenneté, développement solidaire et durable

Education (nouvelle), savoir, citoyenneté, développement solidaire et durable
1-Peut-il y avoir citoyenneté (politique, sociale, identitaire, directe, et pas seulement délégative) sans formation d’une pensée capable de problématiser le réel, d'en saisir les contradictions, la complexité ? (E.Morin : citoyenneté cognitive)
2-Peut-il y avoir formation d'une telle pensée sans qu’elle soit engagée dans une production de savoirs (et non une donation bancaire) (Freire, Gfen, Afl) ?
3-Est-il possible de produire des savoirs qui ne résultent pas de la théorisation (notamment via l’écriture et la lecture) d’une production, d’une transformation citoyenne du réel ? (Marx, Makarenko, Freinet, Afl)
4-Peut-on s'engager dans une transformation de la nature ou de la société, sans reprendre confiance en soi et dans la force d'un groupe solidaire, non pas grégaire, mais construit, sans commencer à changer le regard qu'on porte sur l’homme, le savoir, le monde (A.Jacquard) ?
5-Peut-on changer ce regard sans participer à des pratiques de création, sans l’expérience des projets solidaires, collectifs et coopératifs (Paolo Freire, Le Grain, Gfen), qui "déplacent les montagnes" que seul on ne peut déplacer, qui contribuent au recul de l’esprit de fatalité, qui revitalisent les utopies, qui stimulent l'imagination d’un monde différent, monde sans compétitivité (la fortune des 3 plus riches du monde dépasse le produit intérieur additionné des 48 pays les plus pauvres), sans guerre, sans crève-la-faim, sans "métro-boulot-dodo", sans effet de serre, sans cultures transgéniques, sans explosion des cancers, etc. ?
6-Y a-t-il une fatalité à ce que, d’un côté, quelques-uns élaborent des savoirs et à ce que, de l’autre, une multitude les mette en œuvre, avec, entre les deux, une modèle d’école faisant transiter ce qu’il faut du haut vers le bas pour perpétuer le consensus social (Bourdieu, J.Foucambert)?
7-Ce savoir objet, cette instruction-là ne rendent pas nécessairement les humains meilleurs, ne sont guères plus libérateurs que l'ignorance : ils ne délivrent pas ipso facto de la barbarie (2/3 des chefs des camps de la mort avaient une instruction supérieure à la licence), ne donnent pas le pouvoir de changer ce qui doit l'être et même confortent les visions dominantes du monde. En confèrent (non ?) l'état de l'opinion française à propos de la guerre, du chômage, du nucléaire, des inégalités, de la compétitivité, etc., et sa collaboration au système libéral du productivisme, de la compétition, du consumérisme, de la délégation démission du pouvoir (celui de penser par soi-même, celui de laisser décider pour soi-même)
8-La transmission de connaissances dans une relation hiérarchique (de domination) donc aussi de soumission à l’autorité fait incorporer par les dominés (l'élève, le formé, les groupes sociaux pauvres) en même temps que cette relation des habitus(ou comportements inconsciemment structurés) et les conceptions (positivistes, bancaires, de compétition) qui l'accompagnent comme une culture universelle légitime (Bourdieu, Milgramm et théorie de l'engagement) En effet dans ce cas, le dominé (qui peut être un enfant) ne dispose pour penser cette relation “que d’instruments de connaissance qu’il a en commun avec lui (“le dominant") qui, n’étant que la forme incorporée de la relation de domination, font apparaître cette relation comme naturelle" (P.Bourdieu). Ceci vaut et pour l'école républicaine "sanctuaire" et pour cette école "supermarché" en train de se mettre en place en symbiose avec les demandes de la classe moyenne (où le développement de l'autonomie et de la créativité va avec une culture de la réussite individuelle pour et dans la lutte des places)
9-Seul peut être émancipateur le savoir (savoir procédural, ou savoir faire conceptualisé ou compétence) qui est construit, en produisant, en transformant le réel.
L'action de transformation individuelle (Piaget), ou collective du milieu, réfléchie par l'abstraction réfléchissante, construit la pensée des sujets, en même temps qu'ils s'y transforment.A condition qu'ils entrent en communications et en interactions sociales (Wygostky), interactions plutôt coopératives (Sociocognitivistes, Freinet, Gfen, Occe, et toute ( ?) l'éducation nouvelle). Pour réussir et devenir pouvoir d'action, savoir, compétence et culture de coopération, cette action de transformation collective, a besoin, d'être accompagnée, selon les problèmes, de démarches d'apprentissages constructives ou de dispositifs, évitant la forme scolaire, facilitant, sans volontarisme, la théorisation, la conscientisation de l'action (via notamment l'écriture, la lecture).
10-Un tel savoir pouvoir peut se construire dans des pratiques sociales hors l'école (comme au XIXe siècle l'enseignement mutuel, les coopératives : 87 % des enfants d'ouvriers, qui n'allaient pas à l'école savaient lire en France, 4 ans avant les lois J.Ferry !).
11-L'instruction publique : grand marché du siècle à venir ?
Pour 50 % des pays soumise à la banque mondiale, elle est "considérée comme des investissements stratégiques vitaux pour la réussite de l'entreprise" et non plus "une affaire intérieure" (aux états) (Table ronde européenne des industriels, ERT).
12-N'avons-nous le choix qu'entre l'école sanctuaire de la République d'hier et l'école supermarché de demain matin "Une éducation qui a pour objet d'abolir l'assujettissement ne peut se développer que si les instruments de connaissance se forgent dans la production pratique de la mise en cause de la réalité qui porte la domination" (Yvanne Chenouf, Jean Foucambert)
13- Sur les aspirations des plus pauvres (soit 2 milliard) à pouvoir se nourrir, être à l'abri, se couvrir, se soigner et s'instruire, des modèles d'éducations populaires, de fabrication des savoirs à la base, s'expérimentent dans le mouvement même de la recherche de la libération collective des opprimés par eux-mêmes.
14-Ne sont-ils que des utopies dans la vieille Europe en panne d'un autre projet que celui de la monnaie unique, de la conservation des richesses et des positions sociales ?
15-Ici même des pratiques de résistance périphériques, des alternatives aussi, ne sont-elles pas en train de se chercher à la fois dans le mouvement social, l'aspiration à la démocratisation, le débat d'idées renaissant, l'expérimentation sociale et éducative ?
16-Force est de devoir constater la lobotomisation insidieuse des esprits, la fabrication d'une pensée unique à partir d'une séduisante culture spectacle de série ("star académie"), la légitimation permanente de la compétition ("le maillon faible"), l'incitation à la surconsommation (publicité qui "nous inflige des désirs qui nous affligent"), la mise en conformité à l'école, et, au plan mondial, un modèle radical de solution aux conflits : le bombardement accompagné de crème de cacahuettes.
17-Une école (ou tout autre dispositif) qui, au lieu de "transformer ceux qui héritent en ceux qui méritent" (Bourdieu) serait un "agent", un "facteur" de développement humain solidaire, local et planétaire, où se construiraient d'autres savoirs et compétences, dans le processus même de transformation de ce milieu est-elle seulement envisageable ?
18-Ceci nécessite
-que la société civile, économique, culturelle et politique change assez pour se déterminer elle même, pour créer un rapport des forces non violent en faveur de rapports d'humanité
-une "bataille" culturelle et d'idées pour délégitimer la compétitivité à l'école et dans la société : éviter dans les praxis la mise en concurrence, la notation…: Les enfants adolescents avancent dans la terreur d'échouer solitairement au lieu de la jubilation d'apprendre solidairement dans l'action.
-de s'appuyer sur les cultures du respect de la nature et de l'être humain. Et non sur celles du productivisme destructeur, de la marchandisation-compétition effrénée, de la domination du Sud : ne faut-il pas envisager d'aller, par ici, vers une sorte de "décroissance conviviale" ?
-que les citoyens reprennent en main, dans le même mouvement, le projet éducatif d'une autre éducation (d'une autre école ?) de formes renouvelées d'éducation mutuelles (Académies populaires, réseaux d'échange, etc)
-que ceux qui travaillent dans l'école osent en sortir et travailler avec les mouvements et associations à résister et faire résister leurs apprenants, leurs parents au libéralisme les accompagner dans leur participation à la production d'une société alternative, de moindre misère et de moindre violence.

Texte diffusé, traduit et repris dans les Actes du "Forum mondial de l'éducation" à Porto Allegre, octobre 2001
André DUNY Courriel : Andre.Duny@wanadoo.fr
197c, allée des Aviateurs 01000 BOURG en Bresse 04 74 23 95 52

Président de la Coordination de l’Education Nouvelle (CEN)
Membre du secteur : “Education nouvelle, pratiques sociales” du GFEN
Militant des Alternatifs
Animateur du "Café rencontre" de Bourg-en-Bresse (5è année, 50è séance)
Coauteur de
"Réussir à l'école" Editions sociales 1976
"Construire ses savoirs, sa citoyenneté de l'école à la cité" 1996 Chroniques sociales
"La mondialisation, un défi pour les citoyens" Leprince Editeur.1997
"La violence, fait de nature ou de société" (Même éditeur) 1996

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